je suis installé depuis maintenant cinq ans dans le nord du morvan. je n’y vis pas à l’année, mais j’y passe beaucoup de temps. j’ai atterri ici un peu par hasard. sur un coup de tête. et c’est devenu mon havre de paix, et mon port d’attache. au bout de cinq ans ici je reste un observateur. je n’ai pas la mémoire des chiffres, ni des noms. pas tellement celle des visages. mais j’ai la mémoire des lieux. et le sens de l’observation. alors je me balade et j’observe. et je prends des photos. enfin, je fais des photos.

je quadrille mon jardin. je photographie ma caravane dakota installée sur la parcelle du bas qui subit les éléments et le passage du temps. lentement et en silence. un arbre tombe juste à côté d’elle, mais l’épargne. je me promène à distance à pieds autour de chez moi. le long du saint-marc. le long de la cure. le long de chemins bordés de haies qui délimitent les prés. à l’orée des bois. un peu au bord du monde. à travers la forêt au duc. je grimpe à vélo la route forestière de la pérouse et ses trois lacets. au sommet, depuis la roche éponyme, une belle vue sur la vallée de la cure d’où monte souvent une épaisse couche de brume. j’adore la brume, qui produit un arrière plan parfait.

et j’aime le relief accidenté de la région. le damier formé par l’alternance de prés et de forêts. des forêts sombres en été. sombres et humides en hiver. colorées en novembre. des prés parsemés de chênes et bordés de haies qui ne semblent pas avoir subi le remembrement. prés vert en hiver. couverts de fleurs au printemps. jaune au milieu de l’été. j’aime aussi sa faible densité de population qui la préserve de l’artificialisation excessive des sols et de l’enlaidissement péri-urbain, de l’expansion des lotissements et des z.a.c., de la prolifération des ronds points ou des lignes haute-tension.

lorsque j’ai décidé de m’installer ici, j’ai commencé par chercher une vieille voiture pour sillonner la région. j’ai trouvé une 4l f4 sur le bon coin, vendue par un contrôleur sncf qui habite vers corbigny. c’est devenu ma compagne de voyages. elle me suit partout. ou alors c’est moi qui la suis partout. enfin, quand elle n’est pas en panne. je ne voyage plus à l’autre bout du monde. dorénavant mes road-trips je les réalise en sillonnant les petites routes de la diagonale du vide, avec le morvan comme camp de base et comme principal terrain de jeu photographique.

je fais partie de ceux pour qui le voyage importe plus que la destination. encore plus lorsque je me balade au hasard, sans destination précise, un peu vers ailleurs, mais surtout vers nulle part. je choisis la direction que je prends en fonction de la couleur du ciel, en suivant les nuages et en évitant la lumière trop intense du soleil. je prends bernd et hilla becher pour modèles. moins ambitieux néanmoins. moins patient également. et puis je photographie au 50mm et pas au téléobjectif. au leica m et pas à la chambre grand format. bref, la comparaison est toute relative en fait.

je choisis aussi les routes que je suis en fonction de leurs formes sur les cartes routières, ou du code couleur des zones qu’elles traversent. j’ai une préférence pour les zones vertes. forêts domaniales, forêts communales, forêts sectionales. routes forestières. numéros de parcelles peints sur les troncs. des croix à la peinture pour noter les arbres à abattre. le langage de la forêt. territoire des chasseurs et des cueilleurs de champignons. des cueilleurs de jonquilles aussi, à l’arrivée du printemps. certains suivent les chemins noirs. moi je suis les routes blanches, parfois jaunes, sur de vieilles cartes michelin des années 60, 70 ou 80. itinéraires ter plutôt qu’itinéraires bis. j’évite les routes rouges. trop de monde. trop de vitesse. 90km/h c’est déjà beaucoup trop pour moi. je progresse lentement de village en village. de hameau en hameau. je suis attentif aux toponymes. des noms qui parfois forment comme un poème enfantin. sur un même panneau directionnel le nom de cinq hameaux situés à quelques encablures, la belle étoile, le grand chemin, la guibonnerie, le grand bouleau, la zibetterie. la zibetterie… quel nom étrange. des noms qui parfois raccourcissent les distances. jérusalem à 900 mètres de moscou.  je passe par moscou mais je ne fais pas le détour par jérusalem. des noms qui parfois forment une géographie imaginaire et grandiloquente qui se superpose à la géographie réelle. un étang devient « la mer », une colline devient « la montagne », un ruisseau « la rivière », quelques prés forment « les plaines », et quelques bosquets forment « les forêts ».

en cinq ans je ne suis pas allé bien loin. mais j’ai voyagé jusqu’au centre de la france. je me suis baladé des vosges jusqu’au sud du massif central, de la meuse au jura. et chaque année à noël, un aller-retour jusque chez mes parents sur la côte atlantique. à 500 kilomètres d’ici. de l’autre côté du centre de la france. parfois j’enjambe une autoroute qui n’est pas indiquée sur mes cartes. toujours perpendiculairement. éloge de la lenteur. j’adore les cartes pour l’imaginaire qu’elles portent en elles. aux murs de ma maison des cartes rossignol. sur le siège passager de ma 4l des cartes routières. un jour sur un vide-grenier, alors que je venais d’acheter une dizaine de cartes michelin que j’avais sûrement déjà en double ou en triple, un vendeur m’a interpellé en me voyant avec ces cartes à la main : « ça se vend ça ? je ne savais pas, j’en ai plein », je lui réponds : « oui, d’ailleurs je ne roule qu’avec ces vieilles cartes », « pourquoi, elles sont plus précises ? », « non, mais elles sont belles ». j’aurais aimé participer à la « mission photographique de la datar » dans les années 80. quarante ans plus tard je contribue à ma façon à cette représentation du paysage français. en cadrant une certaine frange hors-champ du territoire. la carte et le territoire. deux réalités qui se complètent.

ma 4l est capricieuse. bientôt un moteur tout neuf. changement de neiman. nouveau radiateur. nouveau démarreur. nouvel alternateur. nouvelle courroie de transmission. nouveau triangle de direction. mais elle tient le coup et supporte les 10.000 km que je lui fais parcourir chaque année à la recherche d’édicules en bords de routes. avec toujours des arrière-plans végétaux. toujours. c’est la règle. une règle parfois contraignante certes. mais sinon ce serait trop facile. et moins élégant surtout. je collectionne donc les abribus, tables de pique-nique, bacs à fleurs, monuments aux morts, stèles en l’honneur de maquis de la seconde guerre mondiale, calvaires, statues de la vierge marie. eh oui, j’en arrive à collectionner des photos de jésus et de la vierge marie. je ne suis pourtant pas pratiquant. pas même baptisé.

je cultive aussi mon goût pour les panneaux. panneaux de circulation, panneaux indicateurs, panneaux publicitaires. ils jalonnent mes voyages. tout pour le voyageur. hôtels, campings, restaurants, boulangeries, supérettes, stations essences. il-y-a ceux qui racontent des lieux. par les noms qu’ils portent ou par les services qu’ils vantent. commerces toujours actifs, ou commerces abandonnés. parfois les panneaux disparaissent avec les commerces qui ferment. parfois ils leurs survivent. certains racontent la désertification rurale ou les vacanciers qui ne viennent plus. d’autres racontent la vie et le dynamisme qui demeurent. certains sont enlaidis par la loi 3ds. différenciation, décentralisation, déconcentration. ce n’est pas bien grave bien sûr. mais je trouve qu’on n’accorde pas assez d’importance à l’élégance. car à la fin, c’est ce qu’il reste, l’élégance. et puis j’ai mes favoris, sujets récurrents de mes photos qui me servent à illustrer le temps qui passe et le passage des saisons. chacun sa cathédrale de rouen après tout.

et enfin il-y-a les arbres. des chênes majestueux au milieu des prés. des bouleaux dénudés, pâles et maigrichons en hiver, à l’orée des bois. certains marqués de numéros de parcelles. d’autres indiquant une réserve de chasse. d’autres encore couverts de lierre. des feuillus et des conifères. des sapins qui parfois se meurent. des épicéas tués par les scolytes. et après les scolytes, les coupes rases. là encore, certains arbres sont des sujets récurrents de photos. je les regarde perdre leurs feuilles, puis les retrouver. ou alors je les regarde mourir et perdre leurs branches. ça c’est irrémédiable. chacun ses nymphéas après tout.

le temps passe, ici comme ailleurs. le snack du lac a été racheté. un auvent vient l’enlaidir. la vieille auberge du lac est à vendre. l’auberge ensoleillée sera peut-être vendue un jour. et la fibre vient d’arriver. des étés secs, des étés humides. très peu de neige en hiver. trop de grêle au printemps. pluies de chatons fin février. passage des saisons. saison de la chasse. je ne chasse pas. saison de la pêche. je ne pêche pas. saison des champignons. ça oui, je vais parfois aux champignons. et puis le potager. pas toujours un grand succès pour moi. des apéros avec catherine et olivier, de temps en temps. la vigne grimpante qui grimpe. il-y-a plus de visiteurs en été. les enfants qui jouent au foot dans le jardin. et le pommier que j’ai planté il-y-a quatre ans qui a donné ses premières pommes. il était donc temps de faire une synthèse en photos de cinq années de ma vie d’observateur. sans nostalgie. avec juste ce qu’il faut de mélancolie.

il-y-a quelques années à l’occasion d’une foire artistique à laquelle je participais, un homme qui m’avait acheté un tirage m’avait dit « c’est relativement facile la photo, il suffit d’en faire plein, et on finit toujours par en faire une bonne ». je suis plutôt d’accord avec cette vision des choses, surtout à l’heure de la photo numérique. c’est la raison pour laquelle j’ai fait pour ce site le choix du foisonnement plutôt que celui d’une approche épurée. pour moi l’intérêt de la photographie réside dans la production et la juxtaposition de séries. des diptyques bien sûr. diptyques arbre – crucifix. diptyques arbre – panneau directionnel. diptyques arbre – arbre. mais aussi des triptyques, quadriptyques, sextuptyques, nonuptyques (je crée des néologismes). ou même plus encore. pourquoi pas un 72-ptyque pris avec un des appareils demi-format que je collectionne. parfois des images de sujets différents qui se font écho. des sujets qui se complètent pour raconter une histoire, illustrer un voyage, témoigner d’une atmosphère ou juste de mon humeur, souvent égale. parfois plusieurs photos d’un même sujet qui montrent le passage du temps. sujet photographié à différentes saisons. sujet photographié avec différents appareils, différentes pellicules. je photographie surtout au numérique (leica m9 et leica m10 principalement), mais j’aime alterner et tester des appareils analogiques. passer du demi-format au moyen format. d’un hasselblad à un vieil appareil soviétique en plastique. j’aime expérimenter.

et surtout la finalité de la photo est d’être imprimée sur papier. alors j’imprime toujours mes photos préférées. je réalise des compositions sur les murs de ma maison. mises en abîme parfois. j’édite des séries, des recueils. cela permet de raconter des histoires. de manière linéaire. mais pas forcément chronologique. ce site lui me permet de raconter des histoires similaires mais en proposant des parcours plus variés, et surtout moins linéaires. c’est l’intérêt des liens dynamiques. ils permettent de sauter d’un thème à l’autre. de créer des unions et de former des intersections. les photos exposées sur ce site sont regroupées par x-ptyques hasardeux qui mènent vers d’autres x-ptyques tout aussi hasardeux. mais j’essaye d’éviter les routes sans issue. alors n’hésitez pas à cliquer sur les photos. dans la plupart des cas cela vous permettra de poursuivre votre balade un peu plus loin. parfois cela vous fera revenir sur vos pas. ou partir dans une toute autre direction. au hasard. et toujours hors champ. certains visiteurs m’ont dit qu’ils s’étaient perdus. et si c’était ça le but ?